« Je veux qu'elle soit le symbole du printemps. Qu'elle soit la déesse de la Nature qui, d'une brise chaleureuse, réveille tous les êtres vivants. C’était la prière que Mère avait dit le jour de notre naissance dis-je à mon reflet dans les éclats de la fenêtre brisée. Nous sommes devenues la brise chaleureuse du printemps mais tout le monde s’est endormi maintenant… par ta faute ! Regarde ce que tu as fait ! »Je relève la tête et observe ma salle de classe silencieuse. Je suis assise sur un corps dont le visage est charcuté au cutter. Je me relève rapidement légèrement dégoutée. Il y a trois corps se vidant de leur sang, des tables et des chaises retournées. Je me rends compte que le cutter et les ciseaux sont restés dans mes mains rouges de sang. Je les laisse tomber sur le sol souillé par l’hémoglobine. Les élèves ont pu s’échapper ainsi que notre professeur. Je ne leur voulais aucun mal, tant mieux s’ils ont pu partir à temps. J’imagine qu’ils vont revenir d’une minute à l’autre avec les autres professeurs.
Je me retourne à nouveau vers la fenêtre et voit le reflet de mon visage tacheté par des éclaboussures de sang en soupirant. Garde ton sang-froid. J’entends des bruits de pas rapides s’approcher.
- Sérieusement… pourquoi as-tu fait ça Avril ? ...
...
...
Le matin
- Salut Avril. Je me regarde dans le miroir de la salle de bain et salue la voix à l’intérieur de mon crâne qui me répond aussi par un chaleureux « Bonjour ».
Je me passe de l’eau sur le visage pour me réveiller et commence à me préparer pour aller à l’école. Depuis mon enfance j’entends cette autre Avril dans ma tête. J’appartiens à une famille plutôt riche. J’ai donc toujours habité dans le grand manoir familial. Mon éducation s’est fait la majorité du temps à la maison et j'ai rejoint les bancs de l'école un an en retard, alors je me suis habituée à la solitude et à discuter avec cette petite Avril dans ma tête. Je suis enfant unique mais peut-être que si j’avais un frère ou une sœur cette voix ne se serait jamais manifestée.
Je me suis toujours imaginé que cette petite voix était l’habitante d’une autre dimension et que nous avons réussi à communiquer ensemble. Du moins jusqu’il y a quelques années lorsque j’ai commencé à avoir mes « crises » et que le psychiatre de la famille m’ait donné le nom de ce peuple d’une autre dimension : La Schizophrénie.
Pendant ces états de "crises" je n'avais plus le contrôle de mon corps. Premièrement, je ressentais une haine et une peur des plus profondes et douloureuses. Tous les nerfs autour de mes globes oculaires semblaient être à vif pendant un petit instant. Puis je... ou plutôt mon autre moi renversait les meubles et déchirait ce qu’elle avait sous la main. Lors de ma première « crise » j’ai croisé une domestique qui voyait bien que je n’étais pas dans mon état normal. J'avais alors agrippé son uniforme en essayant de la blesser et de lui faire mal, lui criant qu’elle n’était personne par rapport à moi. Heureusement elle garda son sang-froid et ma crise ne dura qu’une dizaine de minutes. Du moins je n'en avais aucun souvenir et c'était la domestique elle-même qui me le raconta.
Pour mes parents c’étaient un vrai choque.
- Nous avons dépensées tant d’argent pour que notre petite fille ait la meilleure éducation possible. Pour que tous les autres soient envieux de la fille des Shitsuko. Et vous nous dites qu’elle a une tare ?! Qu’elle est folle et schizophrène ?! s’étaient exclamés mes parents à l’annonce de cette nouvelle.
Tellement d’avarice et d’orgueil.
J’avais toujours été la perfection à leurs yeux, de toute façon si je ne l’étais pas j’aurais sûrement été rayée de leur vie depuis longtemps. Ces êtres stupides s’attribuent en plus le mérite d’avoir contribuer à ce que je suis. Je ne peux pas les blâmer. Cela doit être rassurant pour eux qui ne sont rien d’autre qu’une copie imparfaite de ces autres riches dont la vie semblait meilleure.
D'ailleurs, je les soupçonne toujours d’avoir abusé de moi physiquement plus jeune. A chaque fois que je m'étais un peu relâchée je me faisais sermonner puis... plus rien. Je ne me souvenais jamais de ce qu'il se passait après. De plus, j'avais souvent des petits bleus dont je ne m'étais jamais posé la question de leurs origines étant enfant. Bien-sûr cela n'est resté qu'à l'état d'hypothèse dans ma tête depuis.
De toute façon mes parents ne m’aimaient pas, ils voulaient juste que leur vie soit une suite de succès et il fallait que j’en fasse partie. C’étaient des êtres mécaniques qui me façonnaient à leur idée de perfection. Petite j’étais trop inconsciente pour remettre en question tout cela mais maintenant tout cela m’est bien égal. Je fais ce que je veux et peu importe ce qu’ils en pensent. Vivement que je m’en aille…
- Quand nous serons toute seule… , ajoute la petite voix à la suite de mes pensées.
J’accroche ma barrette en forme de fleur dans mes cheveux puis je souris à mon reflet et ajoute à sa suite :
- Nous irons habiter chez notre cher Majordome. La barrette que je viens d’accrocher est un cadeau de sa part. Je ne connais pas son nom car tout le monde l’appelle « Monsieur » et qu’il a toujours voulu le garder secret. Il travaille au manoir depuis plus de trente ans. Je suis la seule à l’apprécier et qu’il apprécie en retour. La seule raison de cette relation est qu’on se retrouve l’un dans l’autre : nous sommes la perfection et nous le savons.
Terminé. Mon chauffeur m’attend et m’emmène au lycée. C’est la fin du printemps et bientôt le début de l’été et des examens. Ça ne m’inquiète pas plus que ça. Après tout ces examens sont faits pour les gens normaux.
En arrivant mon groupe « d’amis » discutaient devant le portail. Ils me voient arriver avec un léger sourire. Oui, moi aussi je serais heureuse à votre place d’avoir la chance de me fréquenter. C’est le moment de porter son masque.
- Salut Avril, toujours aussi souriante même le matin ! me dit une des filles.
- Bien-sûr ! Avec un temps pareil on se croirait déjà en vacance non ? Elle me rend un sourire puis nous avancions vers la salle de classe pour notre premier cours de la matinée.
Ils sont vraiment idiots de croire que je les apprécie au point d’avoir besoin de leur compagnie. Ce n’est pas que je ne les aime pas mais je suis déjà assez importunée par tous ces êtres insignifiants qui veulent me parler. Si au moins ils avaient un peu de substances ça pourrait être intéressant! Pauvres enfants vides. Ils doivent se sentir juste plus importants en présence de quelqu’un de mon rang.
La matinée se passe tranquillement ainsi que la pause du midi. Puis les cours de l’après-midi commencent. Il fait chaud… extrêmement chaud. Je commence à avoir un mal de crâne. Le cours est d’un ennui indescriptible. Je regarde un peu autour de moi. Ah ! Au moins je ne suis pas seule à m’endormir. Je baille rien qu’en regardant toutes ces têtes somnolentes :
- Si seulement quelque chose d’intéressant pouvait arriver…Ah ! Tout à coup je regrette mes mots. Mes yeux commencent à me picoter et à me brûler de plus en plus fort. Non pas maintenant, s’il te plait ! La douleur était telle que je pressais mes yeux avec les paumes de mes mains en criant dans les ténèbres.
La douleur se calme subitement. L’avant de mon corps est reposé sur ma table et je sens la présence des autres autour de moi qui me demande si je vais bien. Non éloignez-vous ! Bien-sûr ils ne peuvent pas m’entendre. Je ne peux ni répondre ni les informer du danger. La paume de mes mains se dégagent de ma vue légèrement brouillé. …Avril se redresse de son pupitre et regarde tout autour d’elle : tous les élèves sont autour d’elle. Elle est le centre de l’attention et elle jubile. Une mine inquiète habille le visage de ces êtres dégoutants. Elle prend doucement les ciseaux et le cutter dans ma trousse puis glousse doucement avant de s’attaquer aux élèves les plus proches d’elle:
- Comment osez-vous ME regarder avec VOS yeux ?!…
…
…
Les bruits de pas s’approchent de plus en plus. Je me retourne vers la porte et vois les professeurs ébahi devant le spectacle qui s'offre à eux. L’un d’eux à un haut-le-cœur et se retient de vomir en voyant le visage charcuté et méconnaissable.
- Oh mon Dieu ce n’est pas croyable ! Quelle horreur !Ces idiots ne peuvent pas garder leur calme et leur sang-froid ? On voit qu’ils n’ont jamais été préparés à toutes les situations. Il n’y a aucune échappatoire pour moi. Ça devait bien arriver un jour mais je n’aurais pas jamais souhaité que ça soit… ici. Je m’approche doucement en levant mes mains pour me rendre, mon habituel sourire sur les lèvres.
Ils appelèrent mes parents et la police. Ma mère ne pouvait plus s’empêcher de pleurer et mon père de crier. Si on savait que c’était leur fille, leur parfaite petite poupée de cire, qui avait commis ce crime… Ils ne s’en remettraient jamais. Mes parents appelèrent le meilleur avocat qu’ils connaissaient et j’ai pu échapper à la prison, du moins, provisoirement car on m’emmène dans une « prison » d’un autre genre : l’asile psychiatrique. Apparemment célèbre, « Echoes of Silence » est un asile psychiatrique en Corée du Nord qui serait le lieu le plus adapté pour les personnes de mon genre. Des meurtriers malgré eux.
Le jour de mon arrivée à EOS, je me fis ausculter par différents médecins et psychiatres. Ils découvrirent qu'on m'avait diagnostiqué à tort une Schizophrénie. Encore un élément qui me prouve de l’incompétence qui m’entourait. A présent je devrais appeler ce peuple de l'autre dimension "Trouble Dissociatif de l'Identité" ou TDI pour les intimes. Peu importe le nom de ce que j'avais, cela n'allait pas me guérir n’est-ce pas ?
Au final, Avril me présenta ses excuses mais elles n’étaient pas nécessaires : Je peux tout me pardonner.