- Chronologie par âge des événements:
• 0 à 10 ans : Orphelinat
• 10 à 11 ans : Maltraitance de Jared
• 11 ans : Arrêté et placé dans un établissement médicale spécialisé pour mineur
• 11 ans à 3 mois : Observation du docteur
• 11 ans et 3 mois à 13 ans : Phase de traitement
• 13 à 15 ans : Phase de guérison
• 15 ans : Adoption par le docteur
• 15 à 22 ans : Vie à l’extérieur
• 16 ans : Déménagement en Corée du sud
• 23 ans : Intégration à l’asile
• Mutation à Echoes of Silence
Shin ne connut jamais ses parents génétiques qui l’avaient abandonné très tôt dans un petit orphelinat au Texas. En remarquant ses traits asiatiques, l’une des éducatrices des lieux – particulièrement cultivée dans les traditions et l’art de la langue japonaise grâce à une de ses très vieilles et proches amies originaire de là-bas – le nomma « Shin » du kanji « 浸 » signifiant « être immergé, être mouillé » car le nourrisson était apparu un jour de pluie dans un panier à la couverture imprégnée d’eau. Quelques heures de plus et il aurait attrapé une sale maladie.
Dans les premières années, Shin vécut une petite enfance très paisible, soigné et chouchouté par les adultes. Même si l’orphelinat était dans ces temps-là bondée d’autres enfants, il put bénéficier tous les jours de biberons de lait tiède, d’une couchette de chien reconverti en un berceau, de vêtements confortables et de beaucoup d’attention et d’affection.
Quand il eut quatre ans, seulement, il fut obligatoire de l’emmener au dortoir où il vivrait à partir de maintenant avec tout le reste des orphelins. Il dut partager ses nuits et ses repas en compagnie de nombreuses têtes qui lui étaient inconnues et qui l’effrayaient. La douce chaleur des dames lui manquait et il pleurnichait souvent pour les réclamer s’attirant l’agacement des autres pensionnaires. Shin n’était pas apprécié de ses camarades et cela empirait lorsqu’on voyait les traitements de faveurs auxquels il avait droit de la part des adultes qui s’étaient occupés de lui depuis tout petit. Personne n’osait trop au début toucher à la petite mascotte, et malgré quelques premiers mois difficiles, Shin s’adapta à la vie en communauté bien qu’il semblât toujours aussi fragile.
Un garçon de quinze ans qui avait perdu son père dans un accident et sa mère dans un suicide intégra l’orphelinat. Il s’appelait Jared Aivans. Shin avait alors dix ans.
Jared se révélait être un adolescent cruel aux penchants malsains, il aimait faire souffrir et se nourrir de ce sentiment de puissance. (Cette obsession de supériorité pouvait provenir de l’absence de pouvoir dans son propre passé.) Très vite, Shin fut choisi comme son souffre-douleur préféré. Jared avait tout de suite pris en grippe cet enfant à l’aspect aussi chétif qui pleurait très facilement. Pas une journée ne défilait sans qu’il ne fasse pleuvoir des moqueries et des insultes. Dans un premier temps, Jared se contentait de le bousculer dès qu’il le croisait, puis, il avait commencé à lui donner des ordres. C’étaient des services en tous genres comme lui refiler son dessert, lui prêter des affaires, ranger son lit, ou bien plus dégradants comme nettoyer ses chaussures, ramasser ses déchets... Personne autour ne s’opposait à Jared. tout le monde était plus ou moins satisfait du sort du chouchou des éducateurs. Shin n’osait rapporter ses mésaventures, trop effrayé par les représailles qu’il pourrait subir et n’avait pas même eu l’idée de se rebeller contre le grand garçon, il suivait sagement son rôle d’esclave avec douleur. Chaque jour de plus était un enfer.
Un soir, Jared qui était particulièrement de mauvaise humeur attira Shin dans les toilettes et le prit violemment là sur une des cuvettes. Shin ne s’était jamais senti aussi sale et honteux. Par la suite, Jared avait recommencé ce manège tortueux qui devint une sorte de rituel quotidien, il semblait prendre plaisir à vider sa rage en lui. Shin n’ayant le droit d’émettre aucun son, criait en silence et se noyait de millions de larmes.
Pour marquer clairement qu’il lui appartenait, Jared avec l’aide de ses deux fidèles acolytes, muni d’un couteau suisse volé, inscrivit ses initiales sur le corps de Shin.
Ce fut le tourment de trop.
Shin avait dépassé depuis longtemps le seuil supportable pour un enfant de son âge.
Le jour suivant, après le dîner, il se rendit désespéré au bureau de son éducatrice qui avait toujours pris soin de lui. Il lui expliqua très brièvement qu’un garçon était très méchant avec lui. Cependant, ce ne fut pas le bon moment. Il y avait quelques jours, le directeur de l’orphelinat avait eu vent des faveurs octroyées à Shin et avait réprimandé sévèrement l’éducatrice là-dessus. Il lui rappela qu’il était interdit de favoriser un orphelin et de lui accorder de « l’amour » au risque qu’il s’attache.
L’éducatrice lui répondit ainsi dans ses mots : «
Écoutes Shin, dans la vie, il faut que tu saches te défendre tout seul. » et elle prétexta avoir à faire et partit. Le seul espoir auquel il s’était raccroché avait été réduit à néant.
En cet instant, Shin perdit quelque chose d’important à son existence. On pourrait appeler cela l’âme ou ce qui lui restait d’humanité et de conscience.
Dans un état second ou lointain, il retourna au dortoir.
Entre-temps, il avait ramassé du bureau de l’éducatrice une belle paire de ciseaux rouges qui trônait dans un pot avec d’autres crayons et l’avais rangé au creux de sa chaussure sous le pan de son pantalon.
Il attendit assis sur le couvercle de la cuvette de la toilette au fond comme tous les soirs Jared qui n’allait pas tarder à arriver. Il était étonnamment calme et serein. Il avait sorti les ciseaux et les faisait tournoyer sur son index. Quand Jared entrouvrit la porte, d’un mouvement, il remit les ciseaux en main et sans hésitation planta les lames en direction du torse. Sous l’élan, Jared était tombé en arrière dans un grand fracas. Le premier coup n’avait pas percé profondément sa chair écorchant une surface de peau avant de rencontrer une côte. Mais bien qu’il ne fût visuellement pas très touché, le choc avait bien eu lieu et il poussa un hurlement déchirant. Cependant, ce n’était pas par hasard que Jared le violait ici presque tous les soirs. Les alentours étaient souvent vides à cette heure qui s’approchait du couvre-feu et la majorité du personnel qui ne logeait pas dans l’orphelinat était rentrée chez eux. Shin réitéra sous les coups hasardeux de Jared qui était contracté de spasme causé par la douleur, ce ne fut qu’à la quatrième tentative qu’il réussit à perforer un poumon. Jared s’arrêta de respirer et de se débattre , et ses yeux brûlant de colère fixaient pour la première fois l’enfant au-dessus de lui d’une lueur de peur. Ses lèvres formèrent une lente supplication muette puis Shin, indifférent, abaissa une nouvelle fois les lames qui traversèrent la chair comme un flan.
Alors qu’il reprenait son souffle, Shin se rendit compte qu’il était assis sur la braguette ouverte de Jared et de son caleçon à moitié défait. Il recula à quatre pattes puis dévoila entièrement la verge qui pendait mollement d’un côté. D’une main, il attrapa durement le membre. Quand Jared comprit ses intentions, il eut une plainte étouffée, et tenant sa poitrine sanglante, il implora de ses yeux larmoyants de terreur. Mais, Shin n’avait même pas relevé son regard et sectionna une partie de ses bourses. Jared perdit connaissance.
Il fallut deux coups supplémentaires pour détacher entièrement les tissus. Shin cisailla le reste en des tranches épaisses et difformes.
Un cri surgit à l’entrée des toilettes. Le visage horrifié d’un des enfants de l’orphelinat se présentait à l’embrasure de l'entrée des toilettes. Quel était son nom déjà ? Josh ? Sam ? Tim ? Oui, c’était Tim. Shin était son voisin de table en classe. Il lui fit un sourire gentil mais Tim était déjà devenu livide et l’instant d’après, il recracha le menu du dîner. La soupe verte de petits pois mélangée au yaourt à la vanille s’étalait sur le carrelage en une grosse flasque visqueuse et malodorante.
Et, Shin, comme s’il n’avait jamais vu ses mains, vit tout le sang gorgé dans sa peau et le corps en dessous de lui, crevé de toutes parts.
L’absence des trois élèves ou les bruits finirent par rameuter le personnel qui découvrit avec horreur le spectacle macabre.
L’hôpital de la région n’était pas loin et une ambulance rappliqua rapidement sur les lieux. Shin avait laissé tomber ses ciseaux et était resté figé à la suite des événements. Il ne dit plus un mot.
Toutes les méthodes, les questions douces aux accusations violentes, rien n’y fit. Parfois, très rarement, il sortait une phrase. Elle ne répondait jamais à la question, ni à toutes les autres interrogations, s’apparentant plus à une suite de quelques mots incompréhensibles.
Le médecin en charge de l’affaire avait rapporté les sévices qu’avait reçus le coupable depuis apparemment un bon moment. Cela lui évita la peine capitale. On l’interna dans un centre médical spécialisé pour mineur.
► ☽ ◄
Journal du docteur March sur le patient n˚***
Extrait 01 L’enfant vient d’être transféré dans notre établissement.
J’ai dû refréner le sourire qui s’élargissait jusqu’à mes oreilles à la nouvelle. Cela a dû ressembler à une sorte de mauvaise grimace, la secrétaire avait un drôle d’air quand elle a vu mon visage.
J’ai pu avoir un entretien rapide avec lui. Comme les médias en avaient divulgué, l’enfant parle très peu et ne tient que des propos discordants sans aucun lien entre eux. Bien qu’on puisse associer ce trouble à l’un des symptômes de la schizophrénie, j’ai le pressentiment que ce n’en soit pas la cause, et ce, malgré l’avis du médecin juriste. Il me tarde d’analyser plus en profondeur ce cas très spécial.Extrait 02Bien deux semaines qui viennent de s’écouler et aucun changement perceptible sur le patient.
Il est atteint de trouble de stress post-traumatique dans laquelle surviennent les symptômes typiques : hallucinations, crise d’hystérie, mutilations... Je lui ai prescrit à regrets divers calmants qui lui donne un état apathique peu passionnant à étudier.
Je sais qu’il ne faut pas s’attendre à des miracles dès les premiers jours mais je commence à douter de mes précédentes certitudes. Le patient ne recèle-t-il peut-être pas de mystère ?
Je ne perds heureusement pas espoir. Ce serait bien trop ennuyeux. Extrait 03Enfin ! Un signe ! Très faible, cependant, mais ne minons pas les bonnes nouvelles !
Au cours d’une de nos séances journalières, alors que j’entamais une discussion encore solitaire, le patient a pour la première fois depuis le début de son internat levé les yeux volontairement dans ma direction. Pendant quelques secondes ou peut-être même millièmes de seconde qui m’on semblait une part d’éternité, il m’a regardé. Et cette lueur que j’ai aperçue, je pourrais y jurer d’y avoir vu autre chose que le dégénéré mental et irrécupérable qu’ils présument tous. Extrait 04Le garçon souffre-t-il d’une TDI ?
J’en doute fort. Jusqu’à aujourd’hui, je n’ai pu prendre en compte aucune autre personnalité distincte. Je pencherai plus pour un état de déconnexion propre. J’ai pu remarquer cela dans la courte bagarre à laquelle il a participé – et où par un heureux et chanceux hasard, j’ai pu y assister –.
Ce n’était pas lui, ni quelqu’un d’autre... Il était... absent. Il ne bougeait pas son corps, il voyait son corps bouger. Cela ne reste que des suppositions très abstraites et personnelles de ma part, je ne me fierai pas à des conclusions hâtives.
Deux théories me viennent à l’esprit. Je vais les lister ci-dessous :
1 – Le patient souffre d’un trouble de la personnalité non achevé ou incomplet, c’est-à-dire, la deuxième personnalité n’a pas encore pris totalement forme et ne se manifeste que partiellement sous une mémoire confuse.
2 – Le patient souffre d’un état de déconnexion total provoqué par un mécanisme de défense qui éteindrait le complexe agmidalien enlevant ainsi toute souffrance physique et psychologique.
Je trancherai sur une des deux – ou peut-être même une troisième qui sait ? – lorsque j’aurai récolté plus d’informations. [À la suite, quatre pages ont été déchirées.]
Extrait 10Le patient est en voie de guérison, le traitement a fonctionné à merveille sur lui.
J’envisage de l’adopter dans un futur prochain pour assister à toutes les évolutions qui vont se produire à partir de sa sortie. J’aimerais constater de mes propres yeux les résultats de mes expériences. Avec l’affection qu’il me porte, le problème sera plus administratif pour son adoption. En tant que son médecin tuteur, le tribunal aura du mal en effet à accepter ma proposition. Mais j’ai quelques idées en tête pour faire pencher la balance de mon côté. Vu tout le dossier à monter, je dois dès maintenant m’y mettre.► ☾ ◄
Affaire n˚*** sur la demande d’adoption du mineur Shin March par Mme et M. March
Suite à l’enquête menée sur les parents adoptants, Mme et M. March respectivement âgés de 32 ans et 40 ans, le couple marié depuis cinq ans est apte à adopter. Le cas cependant spéciale de l’enfant Shin March interné jusque-là dans l’hôpital psychiatrique Laredo Mental Healt soigné par M. March lui-même qui est son psychiatre référent a du obligé une vérification extérieure par un psychiatre tiers. Ainsi, M. Garcia, psychiatre de sa fonction a déclaré après une entrevue sur trois jours avec le mineur Shin March que l’enfant ne présente plus de dangers pour lui et autrui et que le traitement prescrit par le docteur March est suffisant pour un retour à la vie sociale.
Il est donc accordé dix mois d’essai à Mme et M. March pour la garde de Shin March. À la fin de cette période donnée, il sera décidé ou non de de l’adoption définitive. ► ☼ ◄
L’enfant était arrivé aujourd’hui. J’avais déjà pu le rencontrer auparavant à l’hôpital en compagnie de Ted.
Parlons-en de Ted ! Il m’avait prévenu quoi, quelques mois auparavant qu’il voulait adopter un enfant, de surcroît un de ses patients (!) et qu’il avait déjà entamé la majeure partie des démarches administratives. Je n’avais pas eu mon mot à dire et j’avais dû signer à contre-cœur. Depuis notre mariage, que dis-je depuis le début de notre relation, nous étions mutuellement d’accord dans l’idée qu’un enfant réclamait trop de charge et de travail. Nos métiers respectifs nous bouffaient toutes nos semaines et notre temps libre n’était que très limité. À ma grande surprise, il avait dit qu’il ferait des efforts pour être plus présent à la maison. Lui qui était un mordu du boulot. Lui qui ne pouvait me consacrer ces week-ends. J’étais ainsi très curieuse de connaître la raison d’un tel changement.
Je fus déçu.
Le garçon n’avait rien de très spécial. Un peu timide et lugubre. Il n’avait pipé rien d’autre que trois petits mots : «
Bonjour », «
Au revoir ». Était-il réellement guéri ?
C’est Ted qui a fait toute la conversation. Il lui a présenté toutes les pièces de la maison et sa chambre qui était autrefois celle d’amis. Le gosse l’écoutait au doigt et à l’oeil. Par-dessus le livre que je faisais semblant de lire, j’observai
notre nouvel enfant. Il gardait toujours cette attitude renfermée renforcé probablement par ce changement d’habitat mais quelques fois, il lui souriait. Très timidement, certes, mais de ce sourire sincère qu’ont les enfants. Ted l’a ensuite laissé dans sa chambre qu’il découvre ses nouvelles affaires. Il m’avait chargé de les acheter, et alors que j’avais l’intention de les prendre au hasard pour me débarrasser au plus vite de cette tâche, j’ai fini par succomber. J’ai pris des vêtements de grandes marques, très élégants et esthétiques. Maintenant que j’ai un fils, autant qu’il soit bien habillé. Les appréciait-il ? Je me retins d’aller le voir. J’étais toujours en froid avec Ted qui avait tout décidé sans mon accord. Ma colère après tous ses mois s’était estompé mais je conservais un minimum de fierté sans doute mal placé.
Ted avait commandé un repas italien dans notre restaurent préféré quand nous étions encore de jeunes étudiants. Peut-être étais-ce une tentative pour se faire pardonner ? On dîna ensemble à la salle à manger comme une
vraie famille. Ted alimentait les anecdotes sur la ville et ses habitants. Parfois, je commentais ses propos sans trop m’épancher. Le petit Shin hochait distraitement de la tête tout en picorant des bouts de pâtes. Il ne devait pas avoir l’habitude de manger beaucoup. Je sentais bien que ma présence le dérangeait. Comme manipulée à mon insu, je me décidais à être plus gentille avec lui pour qu’il m’apprécie au moins. Nous allions vivre à partir de cet instant ensemble alors autant bien s’entendre.
...
C’est bon ! Ce gosse m’insupporte ! Malgré toutes les tentatives que j’avais pu faire, le garçon m’ignorait royalement. Chaque fois que je l’abordais, il avait cette expression d’animal en détresse. J’avais l’impression de le disputer, de passer pour une méchante sorcière contrairement à Ted qui jouait le bon rôle. Il ne souriait qu’à lui, n’avait d’intérêt que sa personne.
Le pire n’était pas là.
Quand je m’étais plaint à Ted du comportement de Shin, Ted m’avait reproché de ne pas y aller de la bonne manière. Il fallait que je sois plus douce, plus patiente, plus compréhensive...
C’était moi qui devais changer ! J’en étais abasourdi. Ce n’était pas moi qui avais un problème mental !
La logique de ce monde ou plutôt la logique de Ted m’ahurissait.
...
Notre relation n’avait pas progressé. Mais cela me faisait à présent ni chaud ni froid. Nous étions tous les deux cordiaux tels deux étrangers ne dépassant jamais ce cadre. Ted ne disait rien mais je savais qu’il était en désaccord et se retenait plus d’une fois d’une remarque désobligeante. S’il s’imaginait que tout suivrait selon ses volontés...
Cette famille parfaite qu’il désirait n’était qu’une vaste mascarade.
Notre couple qui n’était déjà pas au beau fixe commençait lentement à s’effilocher. Mais ce n’était probablement pas pour cette raison que Ted émit l’idée du déménagement à la fin du délai de test pour l’adoption de Shin. Il avait trouvé un cabinet bien placé à vendre en Corée du Sud dans la capitale. Depuis toujours, il voulait habiter là-bas mais l’occasion ne s’était encore jamais présenté. Dans sa jeunesse, il avait suivi avec assiduité des cours de coréen donc la langue n’était pas une barrière pour lui – il apprenait ces derniers temps à Shin –. Et mon métier d’expert-comptable me permettait sans problème un tel déménagement. Il n’y avait ainsi pas de raison que je refuse...
Cela aurait en effet dû me faire plaisir de retourner dans mon pays d’origine... Seulement... je ne voulais pas retourner à Séoul, là où toute ma famille était et subir leur jugement. Ils étaient au courant pour l’adoption mais n’avaient sans étonnement pas approuvé comme tout ce que j’avais pu entreprendre dans ma vie. Ted l’ignorait, nous parlions que très peu de nos familles et je n’eus pas l’énergie nécessaire de riposter contre son enthousiasme.
Le changement d’air aurait peut-être des effets bénéfiques ? Je n’allais après tout pas voir ma famille tous les jours. Avec un espoir forcé, j’organisais les préparatifs.
Quand le juge rendit son accord, on s’envolait pour la Corée du sud.
...
Les mois s’étaient passées et la monotonie s’était insidieusement installée dans notre quotidien. Quotidien qui ne me parut jamais plus insipide. J’étais constamment de vilaine humeur. En soi, je n’avais aucun grave problème, seuls des embêtements qui me nuisaient la vie. Ma nouvelle boite ne me plaisait pas. J’entretenais des relations très superficielles avec mes collègues dont je n’arrivais pas à supporter leur mentalité. Depuis toujours, je ne m’étais jamais sentie totalement à l’aise dans ce pays où pourtant j’étais née. Ma famille avait compris mon retour comme un échec à ma carrière malgré tout ce que je pus dire. Ted n’était pas non plus très apprécié d’eux, trop bizarre, trop différent, trop inconnu, trop ou pas assez de je-ne-sais-quoi. On ne les voyait pas très souvent mais les rares fois où je me rendais chez eux, je revenais vidée. Et le retour à notre appartement n’améliorait rien, empirant même les choses.
Si avant j’avais pu dire que je détestais Shin, la réciproque était aussi vraie. Le garçon ne me portait aucune attention et profitait parfois de l’absence de Ted pour me jouer de sale tour. Et quand j’avais le malheur de m’énerver et de le réprimander, Ted prenait sa défense car, Shin, qu’ils pensent tous attardé, était monstrueusement ingénieux. Ce n’était pas tant qu’il fut un surdoué ou quoique soit – ses notes étaient d’ailleurs déplorables –, mais il avait cette manière de penser des plus insensibles lui permettant d’imaginer les pires et meilleurs des stratagèmes. Il adorait Ted et se mettait en valeur en me dégradant. À côté de lui, je passais pour une hystérique colérique. Ce n’était pas en soi des actions exceptionnelles mais qui répétées me pourrissaient la vie au quotidien.
Je me souvenais de ce jour. C'était il y a quelque temps, je ne me sentais un peu fiévreuse alors j'avais entrepris de prendre un jour de repos. C'était un dimanche alors ce n'étais pas tellement grave si je manquais un jour à l'entreprise. Je me mis dans le salon pour travailler sur le dernier gros dossier dont j'avais hérité. Je l'avais pratiquement bouclé quand Shin entra dans la pièce. Nous avions l'habitude de nous ignorer alors je fus très surprise quand il m'adressa la parole. Il avait un problème avec une prise de sa chambre qui refusait de fonctionner. C'était la première fois qu'il me requerrait mon aide. Et donc naïvement, j'acceptai.
J'allais dans sa chambre et vérifiai la fameuse prise. Je découvris rapidement qu'elle n'était pas la seule prise en proie à un dysfonctionnement. Tous les branchements étaient déconnectés. Il y avait eu une surcharge dans le circuit. Je dus aller dans la cave de l'immeuble pour remettre le courant dans la chambre de Shin.
Celui-ci me remercia finalement tout sourire et j'en fus bêtement heureuse. Shin retourna dans chambre tandis que me rasseyais à la table pour reprendre mon travail. Je ne me rendis pas compte instantanément de la disparition de ma pochette qui contenait le fruit de mon dur labeur depuis deux semaines.
Ce ne fut que lorsque je me remis à la tâche que la panique commença à monter en moi. Entre les feuilles, sous la table, dans mon sac, je cherchai avec de plus en plus de précipitation mon dossier. Puis, d’un coup, à mes pensées qui défilaient à mille à l’heure les derniers instants de ma mémoire, je vis clair dans son jeu.
Shin.
C’était d’une telle évidence.
Débordant de stress et de rage à m’être fait ainsi avoir, je lui hurlai de venir. Une énorme erreur. Il apparut au seuil de la porte, un sourire angélique sur le visage. C’était en cet instant l’image même de l’innocence et il était très difficile de croire qu’il pouvait être aussi vil. Mais je discernais entre ses lèvres retroussées, un rictus invisible et au fond de ses yeux noirs, deux orbes vides et profonds. Devant moi, je ne voyais pas un
humain. Quelque chose qui essayait de nous ressembler mais pas un humain. J’en redoublais de force et l'attrapai au col.
Ted débarqua à ce moment-là mais je ne le remarquai pas tout de suite, trop occupée à secouer dans tous les sens Shin. Ted s’apercevant de la scène, accourut pour m’empoigner les deux bras. Tandis que je me débattais avec férocité, les puzzles s’assemblèrent doucement dans ma tête et je pris conscience de son plan entier. Il était cependant trop tard. Ted avait fini par me maîtriser. Il me conduisit à la chambre et m’intima d’y rester me reposer. La fièvre me faisait selon lui délirer.
C’était le coup de grâce fut donné le lendemain matin. Lorsque Ted me rendit ma fameuse pochette.
Tombée à ce qu'il paraît sous la table. Mes suppositions n'en furent que renforcées.
Il avait tout bien organisé. Le temps que je mettrais à réparer son
problème, le moment où je me rendrai compte de la disparition de mon dossier, et l’heure où Ted reviendrait. Chaque minute avait été minutieusement calculée.
Quand je confiais piteusement à Ted toute ma souffrance, celui-ci d’un haussement sourcil, me répondait :
«
Quel intérêt aurait-il à te tourmenter ? ».
Parfois, je me demandais s'il était un psychiatre digne de ce nom.
...
Je suis partie.
Emportant sous le coup toutes mes affaires, je suis retournée chez mes parents. Ce ne fut pas sous l’emportement de la colère ou du désespoir qui pourtant étaient bien là que je pris cette décision mais en prévision du jour où toutes ses émotions qui m’étranglaient la gorge se déverseraient. Plutôt que d’attendre sagement d’être brisé, je préférais fuir.
À mon grand étonnement, maman ne m’avait mitraillé d’aucune critique ni question. Bien qu’elle se plaignait toujours habituellement comme papa, ils ne m’ont pas quémandé d’explications. Ma petite sœur qui habitait encore chez mes parents ne se privait cependant pas d’interrogation mais lorsque maman l’eut mis en garde de sa curiosité excessive, elle s’arrêta. Pour la première fois, je compris réellement l’importance du mot famille et de ce foyer détesté qui m’était toujours ouvert.
Les journées libres où je n’avais rien à m’occuper, j’imaginais Ted venir me chercher, me supplier de revenir. Au début, il me téléphonait souvent pour me faire «
retrouver la raison » comme il disait. Par la suite, ses appels s’espaçaient puis finalement il n’appela tout simplement plus. Quelquefois, je fixais mon portable en attendant qu’il sonne.
...
« Flash spécial ! Un incendie a été déclaré à l’avenue S. dans l’immeuble n˚13. Il est pour l’instant recensé deux morts et une dizaine de blessés. D’autres individus sont encore aux proies aux flammes qui ont déjà ravagé un côté de l’immeuble. Des pompiers sont sur les lieux et essayent de sauver le reste des survivants bloqués tout en régulant la progression du feu. Tous les locataires et voisins à l’immeuble sont priés d’évacuer la zone en urgence. La cause de cet incendie est encore inconnue. Le quartier n’avait jamais connu jusque-là d’incendie. Serait-ce là un accident... ou bien une tentative criminelle ? Plus d’infos prochainement ! »...
Bilan de l’incendie n˚**** dans le quartier ouest de H. avenue S. Immeuble n˚13Durée de l’incendie : 2h40
Nombre de blessé(s) : 36
Nombre de mort(s) : 5
Origine : Appartement 405, explosion dans la cuisine, plaque de cuisson au gaz non éteinte.
Cause : Humaine (négligence)
...
Ted était mort.
Quatre ans, trois mois et deux semaines après que je l’ai quitté. Quatre ans, trois mois et deux semaines après que je l’ai abandonné.
C’était la réalité.
Qu’importe que je crie, que je pleure, ou que je meurs. Qu’importe aussi que je tue de mes propres mains l’enfant maudit. Celui qui avait survécu en dépit de Ted. Nous étions seuls avec notre solitude et nos remords. Je l’ai pris à ma tutelle, Ted et moi n’avions pas encore divorcé alors selon la loi il me revenait de droit. Je le haïssais à un point où toute ma colère n’était devenu que superflu.
Après la disparition de notre tendre aimé, il était telle une coquille vide. C’était le moindre des prix à payer. Je savais qu’il était plus ou moins responsable de l’incendie et il devait le savoir aussi. J’attendais patiemment que la culpabilité le ronge et pourrisse son corps jusqu’à la moelle. Attendre des années ne me dérangeait pas. Nous avions tout perdu et une longue vie qui s’étendait encore devant nous.
...
Ce fils de pute avait fait une tentative de suicide. Il avait avalé tous les somnifères de ma réserve. Qu’est-ce qu’il croyait ? Que je n’avais jamais songé à cette idée ? Un rapide lavage d’estomac et tout était parti. Jamais je ne le laisserais crever aussi facilement. Mais grâce à cette action des plus stupides, j’avais l’occasion de le renvoyer à l’hôpital des fous, là où il aurait toujours dû se trouver.
...
Les bonnes nouvelles s’enchainaient avec entrain.
Hier soir, j’avais reçu un appel de l’hôpital où Shin était interné. On me réclamait d’urgence. J’eus peur un instant qu’il ait pu réussir à se pendre avec les draps de son lit comme on en voyait parfois dans les téléfilms dramatiques. La secrétaire me rassura vite : il allait « bien » mais ce n’était pas le cas des « autres ». Je n’appris plus tard que les autres étaient également des patients de l’hôpital.
Je n’aurais jamais cru être un jour si enthousiaste à me rendre dans ce genre d’endroit.
Le médecin à la charge de Shin m’accueillit avec empressement et m’expliqua la situation. Shin avait agressé deux de ses camarades. La cause est encore floue. Le premier avait été lacéré de coups et de griffures et le deuxième, entre la vie et la mort au bloc opératoire. Apparemment, il aurait été mordu à plusieurs reprises et plus particulièrement au niveau du ventre dans laquelle avait été arraché une bonne partie de la chair.
Eh bien, Shin s’était surpassé sur ce coup-là ! Je ne pouvais que pleinement le féliciter de son envol en enfer !
Avec tous ses événements, j’envisageai avec excitation son envoi au trou. Le médecin réfuta cette idée mais en eut une autre qui fut tout aussi charmante.
J’avais eu déjà eu vent de cet hôpital terrible en Corée du nord. Un vieux manoir où les pires des aliénés séjourneraient. C’était parfait pour Shin. J’eus simplement à apposer ma signature sur quelques papiers dont je feignis d’y attacher une grande attention à la lecture. Des derniers
blabla pour clôturaient le tout et voilà, Shin avait un aller simple au paradis.